Télescopage des événements. C'est au lendemain d'une vague verte inédite aux municipales et le jour de la réception par Emmanuel Macron des propositions de la Convention citoyenne pour le climat qu'il est définitivement mis fin à l'exploitation de la centrale nucléaire de Fessenheim (Haut-Rhin). Un arrêt qui ouvre une nouvelle période dans l'histoire du nucléaire français avec le premier démantèlement programmé de réacteurs à eau pressurisée de grande puissance (900 MW).
Pas de surprise de dernière minute sur le calendrier, bien que la centrale aurait dû cesser de fonctionner en 2016 si la promesse de la campagne présidentielle de François Hollande avait été tenue. Le premier réacteur de la centrale, mise en service en 1978, avait été stoppé le 22 février dernier. Le second est mis à l'arrêt dans la nuit du 29 au 30 juin, mettant ainsi définitivement fin à son exploitation.
« Cet arrêt était inéluctable, la centrale n'étant pas éternelle. Situé en zone sismique et inondable, en contrebas du grand canal d'Alsace, le site est particulièrement vulnérable à des aléas non prévisibles. La prolongation de son fonctionnement n'aurait pu se faire sans risques, les cuves des réacteurs, affectées de défauts, n'étant ni remplaçables ni réparables », explique le Réseau Sortir du nucléaire (RSN), qui se réjouit de cette fermeture après 50 ans de mobilisation. Mais l'arrêt des deux réacteurs ne signifie pas que tous les problè
mes soient réglés pour autant. Les pouvoirs publics et les différentes parties prenantes sont confrontés à la prise en compte de cette fermeture dans la politique énergétique nationale, au démantèlement des installations et à la reconversion économique et sociale du territoire.
Pas d'impact sur l'alimentation en électricité
Au niveau de la sécurité d'approvisionnement, la fermeture n'aura pas d'impact sur l'alimentation en électricité des Français, a indiqué en février le gestionnaire du réseau de transport d'électricité (RTE), et ce, malgré le retard dans la mise en service de l'EPR de Flamanville. « Cette fermeture est compensée par la mise en service de la centrale CCG de Landivisiau, le développement des énergies renouvelables et la mise en service de deux interconnexions avec la Grande-Bretagne et l'Italie », détaille RTE. Au niveau régional, ce dernier explique avoir « anticipé cette fermeture et avait adapté le réseau électrique local afin de sécuriser l'alimentation en électricité de la région (…). La région Grand Est dispose de suffisamment de moyens de production pour répondre à ses besoins en électricité. Elle produit plus de deux fois ce qu'elle ne consomme », ajoute le gestionnaire de réseaux.
La crise sanitaire a toutefois occasionné le report d'un certain nombre d'opérations de maintenance et d'arrêts de réacteurs qui peuvent fragiliser l'approvisionnement en énergie l'hiver prochain. « Mais cette tension se serait présentée dans tous les cas, même si Fessenheim était restée en fonctionnement. Le problème que cette crise met en exergue n'est pas la fermeture de Fessenheim, mais bien notre système de production et de consommation d'électricité », estime RSN.
La fermeture de la centrale a, en revanche, un coût direct pour l'État. Celui-ci s'est engagé, selon un protocole signé en septembre 2019, à indemniser EDF à hauteur de 400 millions d'euros en lien direct avec la fermeture, puis à hauteur de 4 milliards d'euros pour compenser le manque à gagner pour l'exploitant. Pour cette deuxième partie, le ministère de la Transition écologique parle d'une part variable qui dépendra des prix de l'électricité sur une période allant de 2022 à 2041. Six associations ont déposé une plainte auprès de la Commission européenne contre ce protocole considérant qu'il s'agissait là d'une aide d'État. « EDF se voit donc dédommagée pour une électricité qu'elle n'aurait pas pu produire, alors que cette fermeture lui a permis de ne pas réaliser les coûteux travaux qui auraient été requis », dénonce RSN.
Une restauration du site à horizon 2040
La fermeture du second réacteur de Fessenheim ouvre la voie à la phase de démantèlement de la centrale. Mais il s'agit d'une tâche au long cours qui comprendra trois phases qui ne s'achèveront que vers 2040 : une phase préparatoire d'environ cinq ans, la phase de démolition, puis, enfin, celle de restauration du site. Au moment de l'arrêt du premier réacteur, l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) avait pointé le manque d'empressement de la direction d'EDF à préparer la phase de démantèlement. "Le combustible nucléaire usé devra encore refroidir plusieurs années sur le site, qui restera vulnérable aux séismes et inondations et dépourvu de diesels d'ultime secours", alerte RSN.
À terme, sur le périmètre de la centrale, ne devrait subsister qu'un technocentre pour le recyclage des matériaux métalliques à très faible activité (TFA). Élisabeth Borne avait confirmé la création de cette installation au moment de la fermeture du premier réacteur. Dans leur réponse au débat public sur le cinquième plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR), la ministre de la Transition écologique et le président de l'ASN ont donné leur feu vert pour une valorisation de ces déchets métalliques radioactifs. Des déchets qui pourraient provenir du démantèlement de Fessenheim mais aussi d'autres installations. Ce qui laisse à penser qu'EDF pourrait aussi installer ce technocentre sur un autre site. Ce que le Gouvernement ne souhaite pas.
Usine de fabrication de pellets
Au-delà de ce technocentre, le Gouvernement met en place un programme de reconversion économique et sociale du territoire touché par la fermeture de la centrale. Celle-ci employait près de 700 salariés EDF, auxquels s'ajoutaient 280 salariés d'entreprises partenaires et jusqu'à 1 500 intervenants supplémentaires, selon les chiffres avancés pour l'année 2019 par l'opérateur historique.
Le développement économique du territoire repose principalement sur l'aménagement de trois espaces fonciers sur lesquels le Gouvernement cherche à accueillir les entreprises. Tout d'abord, la zone ÉcoRhéna de 90 hectares ; mais celle-ci abrite des zones forestières et des espèces protégées. La société Européenne de biomasse a d'ores et déjà annoncé l'implantation d'une usine de fabrication de pellets avec 350 à 700 emplois non délocalisables à la clé. La zone industrialo-portuaire de Colmar Neuf-Brisach permet de mettre à disposition environ 100 hectares supplémentaires. Enfin, la zone de Koechlin devrait être proposée dans la deuxième liste des sites « clés en main » que la secrétaire d'État, Agnès Pannier-Runacher, doit présenter cet été. « La création d'une société d'économie mixte franco-allemande a été validée par ses actionnaires (…) pour démarrer la commercialisation de ces nouveaux terrains dès 2021 », indique le ministère de la Transition écologique.
Ce dernier rappelle également les autres initiatives qui ont été lancées dans le cadre de projet de reconversion : lancement d'un appel d'offres de 300 mégawatts d'énergie photovoltaïque dont la troisième vague de lauréats sera annoncée en septembre, processus d'indemnisation de la concession Lac-Noir-Lac-Blanc, et installation d'une station de transfert d'énergie par pompage (Step), accompagnement de projets de méthanisation, ou encore lancement prochain de la liaison ferroviaire Colmar-Fribourg.
Pas de fermeture complète de nouvelles centrales
La reconversion de ce site a valeur de test pour le Gouvernement. En effet, pour atteindre l'objectif de baisser à 50 % la part du nucléaire dans la production d'électricité d'ici 2035, il doit encore fermer douze réacteurs nucléaires de 900 MW. La liste reste encore à définir mais le ministère de la Transition écologique confirme qu'il n'y aura pas de fermeture de sites complets mais seulement des arrêts de réacteurs à moitié ou au tiers de la capacité des centrales concernées.
« Bugey, Tricastin, et tant d'autres centrales en France méritent aussi d'être fermées ! La France se doit d'engager une transition énergétique digne de ce nom et d'en finir avec le nucléaire, plutôt que de maintenir en fonctionnement des centrales vieillissantes et dangereuses et envisager la construction de nouveaux réacteurs », s'enflamme RSN.